Lorsqu’elle a rejoint l’entreprise Bionaissance, il y a cinq ans, Léana Decros a rapidement vu le potentiel d’une stratégie d’embauche inclusive. Aujourd’hui, l’entreprise de traitement de pelouse fait figure de modèle en matière d’accueil et d’intégration de travailleurs immigrants. Une démarche qui s’est renforcée avec leur participation aux Événements Emploi Éclair de Libre Emploi. Retour sur une approche qui bouscule les préjugés et renforce la pérennité de l’entreprise.
Un virage naturel vers l’immigration
Bionaissance, qui célébrera son dixième été d’opération cette année, s’est ouverte progressivement à la main-d’œuvre immigrante. « On recevait beaucoup de candidatures de personnes immigrantes, mais souvent, elles n’avaient pas encore de permis de travail ouvert. » explique Léana, directrice générale de l’entreprise. Avec un modèle d’affaires saisonnier, l’entreprise a besoin de travailleurs disponibles sur une courte période, ce qui leur impose d’embaucher sous certaines conditions (les candidats doivent avoir un permis de travail ouvert ou une résidence permanente).
Après la pandémie, l’entreprise a constaté une augmentation importante des candidatures de personnes issues de l’immigration. « On avait beaucoup de personnes qui se présentaient directement à nos bureaux CV en main, et qui nous disaient être ici en tant que visiteurs, cherchant une promesse d’embauche pour obtenir un permis de travail. Ce qui était compliqué pour nous, c’est qu’on n’offre pas d’emploi l’hiver, donc un permis de travail fermé ne fonctionne pas dans notre réalité. » explique Léana.
Sur Indeed, cette tendance était encore plus marquée. « Dès qu’on publiait une offre, même si on spécifiait qu’il fallait détenir un permis de travail ouvert ou une résidence permanente, on recevait des centaines de CV. Après la pandémie, ça a littéralement explosé : je mettais une offre et je recevais jusqu’à 300 candidatures, dont les 3/4 étaient des personnes que nous ne pouvions pas embaucher. »
C’est lors de leur première participation aux Événements Emploi Éclair que Bionaissance a trouvé une solution idéale : « On a eu tellement de belles candidatures grâce à l’événement que j’ai pratiquement embauché toutes les personnes que j’ai rencontrées l’an dernier. J’ai donc décidé de faire de cette méthode notre priorité en recrutement avant même de publier nos offres ailleurs! » ajoute-t-elle.

Une approche humaine qui fait la différence
Si le CV est souvent un critère clé pour plusieurs employeurs, chez Bionaissance, l’accent est mis ailleurs. « Nous, on fonctionne beaucoup avec des étudiants et des travailleurs saisonniers. Pour nous, ce qui compte, c’est la motivation et l’attitude des candidats ». Dans ce contexte particulier, l’entreprise mise sur plusieurs mesures pour favoriser l’intégration des nouveaux employés immigrants :
- Des formations internes pour assurer une maîtrise des tâches, peu importe l’expérience préalable.
- Des chandails personnalisés et des communications préalables aux clients, pour les sensibiliser à la présence de travailleurs en francisation et les encourager à faire preuve de bienveillance.
- Des outils de traduction disponibles sur le terrain pour faciliter la communication avec la clientèle.
Bionaissance veut aussi créer un environnement de travail chaleureux et inclusif : « On veut que tout le monde se sente bien ici. Quand c’est l’anniversaire de quelqu’un, on achète un petit gâteau, on souligne l’occasion ensemble. Chaque lundi matin, on fait un meeting avec un café pour discuter de la semaine et parler de nos fins de semaine. À la fin de la saison, on organise un petit déjeuner pour remercier l’équipe. On a toujours essayé d’intégrer tout le monde, même en étant une entreprise saisonnière, parce que ce qui compte, c’est que nos employés se sentent bien
chez nous. »
Un pari gagnant pour tous
L’entreprise joue un rôle clé pour des personnes à la recherche d’une première expérience de travail québécoise. « On est beaucoup un tremplin pour un futur emploi. Plusieurs immigrants visent éventuellement un poste spécialisé comme un poste de comptable, par exemple. Mais ils savent très bien que les employeurs veulent voir ce qu’ils valent sur le marché québécois. Avec nous, ils peuvent obtenir cette première expérience locale qui leur ouvre ensuite plus de portes. »
L’entreprise voit le tout dans une optique de donnant-donnant : « Une fois qu’ils ont terminé leur saison chez nous, je peux leur référer des compagnies avec qui nous travaillons, voire même des clients qui cherchent du personnel. C’est vraiment un échange mutuel où chacun en sort gagnant. »
Et parfois, certains employés choisissent de rester et de revenir année après année. « En septembre et en octobre, je cherche des compagnies prêtes à accueillir nos employés pour l’hiver dans le domaine du déneigement, afin qu’ils puissent continuer à travailler. J’ai trouvé des entreprises, pris les contacts des ressources humaines, préparé des listes et donné les adresses aux travailleurs pour qu’ils se présentent en personne. On essaie vraiment de leur donner un coup de pouce même après leur saison avec nous. »

Une histoire particulièrement inspirante
L’histoire d’un couple originaire du Mexique embauché lors des Événements Emploi Éclair illustre bien cette dynamique d’intégration et de soutien mutuel. « Je me souviens, Marilyne frappe à ma porte à la fin de l’événement et me dit : « Léana, j’ai un couple de Mexicains, ils ne parlent pas français. Est-ce que tu es capable de faire l’entrevue? » … J’ai fait un an de faculté d’espagnol… c’était le moment de voir si ça servait à quelque chose! » raconte-t-elle en riant.
Léana a donc mené l’entrevue en espagnol et a découvert que le conjoint avait huit saisons d’expérience en entretien de pelouse aux États-Unis. Le mari a demandé à Léana d’embaucher également sa femme et c’est sans hésiter qu’elle les a embauchés tous les deux. « Ça a été la meilleure décision. Depuis que je suis là, ce sont les meilleurs employés que j’ai eus. Ils ont tellement été impliqués que c’est en partie grâce à eux que j’ai décidé de continuer à embaucher des travailleurs immigrants. Si ce n’était pas des Événements Emploi Éclair, j’aurais pu passer à côté d’eux, mais j’ai osé et ça a changé la donne. »
Le couple s’est rapidement imposé comme un atout pour l’entreprise. Le mari, malgré la barrière de la langue, s’est révélé être un employé méticuleux et engagé, toujours prêt à aider ses collègues et à rester plus tard, notamment pour remplir les camions. « Ce qui m’a impressionnée, c’est qu’il n’hésitait pas à aller vers les autres, même sans parler français. Et en retour, les autres employés ont fait l’effort de lui parler un peu en espagnol. »
Le couple a également démontré un dévouement hors du commun : « Qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud, ils étaient là. Même quand les autres employés prenaient congé à cause de la météo, eux, ils insistaient pour travailler. Jamais une seule absence. »
Léana est allée encore plus loin du cadre déjà humain et chaleureux de l’entreprise. « Ils sont même venus souper chez moi à Noël, parce qu’ils n’avaient pas de famille ici. On a tissé des liens forts, et je suis contente de voir que leur français s’est grandement amélioré depuis. »
Repenser l’embauche : un message aux employeurs
Interrogée sur les réticences de certains employeurs à embaucher des personnes immigrantes, Léana a un message clair : « Une personne immigrante a traversé beaucoup d’épreuves pour être ici. Si elle applique chez vous, c’est qu’elle veut travailler. Il ne faut pas s’arrêter à une barrière linguistique ou à une expérience qui ne correspond pas exactement à vos critères. Il faut tester pour voir. »
Un candidat issu de l’immigration a souvent tout quitté : sa famille, son pays, parfois même dans des circonstances difficiles. Peu importe leur parcours, ces personnes ont aussi fait face à des obstacles administratifs et personnels énormes : les démarches d’immigration, les visas, les permis de travail… Elles ne sont pas là par hasard, elles sont là pour bâtir une nouvelle vie et s’intégrer pleinement.
« Il ne faut pas que la barrière de la langue ou un CV imparfait soient des freins. La vraie question à se poser, c’est : est-ce que cette personne est prête à apprendre et à s’investir? Si oui, il faut lui laisser sa chance. Toute entreprise qui tente l’expérience de recruter un travailleur immigrant aura envie de recommencer. » , renchérit-elle.
Réfléchissez-y!
Avec un taux de rétention qui s’améliore d’année en année et une équipe plus diversifiée que jamais, Bionaissance prouve qu’une stratégie inclusive peut non seulement répondre à la pénurie de main-d’œuvre, mais aussi enrichir une entreprise.
Ressources pour les nouveaux arrivants dans la ville de Québec.
Ressources pour les employeurs qui souhaitent favoriser l’inclusion de personnes immigrantes.
Cette entrevue a été réalisée dans le contexte du projet Immigr’Action, à travers duquel plusieurs organismes offrent des outils et ateliers gratuits pour préparer les employeurs à accueillir et à favoriser l’inclusion des personnes immigrantes. Tous les détails ici.
Chantal Martel
Conseillère en emploi et aux entreprises